De John Nash à Jean Tirole: le réseau comme source de performance

Le samedi 23 mai 2015, John Nash et sa femme Alicia sont morts dans un accident de voiture, a l’âge de 86 ans et  82 ans. A la suite de l’excellent film sur sa vie, Un homme d’exception (A Beautiful Mind), le grand public retiendra surtout la lutte d’un homme confronté à la schizophrénie. Toutefois John Nash est un mathématicien de génie, prix Nobel d’économie en 1994 et prix Abel en 2015. Son accident est arrivé lorsqu’il rentrait  tout juste de l’aéroport après avoir reçu ce prix prestigieux en Norvège.

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John Nash (Photo Elke Wetzig – Elya)

Nash a établi l’équilibre de Nash dans la théorie des jeux lors de son doctorat à 21 ans. Il s’agissait alors d’une nouvelle branche des mathématiques issue des travaux de John von Neumann et Oskar Morgenstern publiés en 1944 dans l’ouvrage : Theory of Games and Economic Behavior (Théorie des jeux et du comportement économique). La théorie des jeux est un ensemble d’outils pour analyser les situations dans lesquelles l’action optimale pour un agent dépend des anticipations qu’il forme sur la décision d’un autre agent. Elle permet de résoudre des problèmes délicats tant en stratégie, qu’en économie et politique et elle a été fréquemment mise à contribution par la suite. Le prix Nobel d’économie a été décerné tardivement en 1994 à John Nash pour son travail de 1950 sur la théorie des jeux. Toutefois, la majorité des mathématiciens s’accordaient à dire que les contributions de John Nash en mathématique étaient bien plus importantes, en particulier en géométrie différentielle et dans le cadre de la théorie des équations aux dérivées partielles, le prix Abel venant ainsi reconnaître ces apports majeurs en mathématique.

Pour comprendre l’apport de la théorie des jeux et de l’équilibre de Nash, un des résultats les plus célèbres qu’on retrouve le plus souvent dans le cas des situations d’oligopole, est le dilemme du prisonnier. Le dilemme du prisonnier est une illustration de l’inefficience collective de certains comportements individuels réalisés de manière décentralisée. Le fait que les acteurs ne soient pas en relation et ne puissent pas discuter du dilemme aboutit le plus souvent à prendre la plus mauvaise décision. Étendu à la vie des entreprises, l’inexistence du réseau crée de l’inefficacité économique, stratégique et organisationnel.

Plus récemment, l’économiste Jean Tirole a reçu le prix nobel de l’économie en 2014 pour son « analyse du pouvoir de marché et de la régulation » en se basant sur la méthodologie de la théorie des jeux et de la théorie de l’information. Ses recherches portent notamment sur les marchés bi-faces, des marchés qui regroupent des catégories d’utilisateurs complémentaires au sein d’une plateforme, et qui s’apportent mutuellement de la valeur grâce à de puissants effets de réseaux croisés. Dans ces marchés, le réseau joue un rôle majeur pour atteindre un équilibre qui permet aux acteurs de maximiser la création et la capture de la valeur.

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Jean Tirole (photo de Open Market)

Ces deux économistes ont montré ainsi toute la puissance de la mise en réseau pour aboutir à des situations qui maximise la situation des acteurs en place. Même si ces phénomènes peuvent avoir des effets assez négatifs au niveau de la concurrence, les marché bi-faces et plateformes multifaces pouvant aboutir à de puissants monopoles, les effets de réseaux sont un puissant vecteur d’innovation.  Jean Tirole a d’ailleurs proposé des mesures de régulation pour faire face aux oligopoles et « gentils » monopoles qui jouissent d’une position dominante sans en apparence en profiter aux dépens de leurs clients. Ce raisonnement pourrait être étendu à la vie interne des entreprises. Comme le suggère John Nash, la compétition aveugle sans interactions directes entre acteurs, aboutit à la plus mauvaise des situations. Comme le suggère Jean Tirole, la mise en réseau d’acteurs complémentaires permet d’optimiser la situation. Combien d’entreprises mettent en place des organisations qui permettent de minimiser la compétition entre les individus, de mettre en réseau leurs complémentarités, dans un lieu (une plateforme) qui crée des effets de réseaux croisés ?

Les travaux de  John Nash et de Jean Tirole ont encore beaucoup à apporter au management des organisations et au management stratégique.

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