Le jeu peut-il rendre les étudiants plus créatifs ? Le cas du jeu le Bus à l’envers

Considérée comme une ressource utile au développement personnel, professionnel et aux transformations sociétales, la créativité consiste à produire des idées nouvelles et utiles pour résoudre un problème ou atteindre un objectif. Ces dernières années, le monde socio-économique (re)découvre les vertus de la créativité face à de nouveaux besoins de savoir-être transversaux et collaboratifs utiles au développement de l’innovation dans les entreprises et plus largement dans la société. Le World Economic Forum, dans son rapport sur le capital humain intitulé “Se préparer à l’avenir du travail” classe la créativité comme une des trois compétences dont les entreprises vont avoir le plus besoin.

 

Beaucoup d’entre nous, en lisant ces première phrases sont en train de se dire : « Oui, mais moi je ne suis pas créatif ! ». Fausse idée et malheureusement beaucoup trop répandue ! Chaque individu dispose de compétences créatives plus ou moins développées comme le montre les travaux de Gérard Puccio. Il n’existe pas, comme on semble parfois le suggérer ou le penser, d’individus non créatifs. Chacun a des préférences créatives et peut à un moment ou à un autre apporter ses connaissances, mettre en œuvre des savoir-faire ou développer des savoir-être utiles à une créativité individuelle et surtout collective.

Enseignant à l’université auprès d’étudiants en licence et en master, nous essayons de faire comprendre aux étudiants qu’ils ont tous une part de créativité en eux et qu’ils peuvent la développer. Cependant, nous avons fait le constat que, confrontés à la résolution d’un problème lors d’un processus créatif, nos étudiants avaient beaucoup de difficultés à générer des idées créatives. Ils ne se permettent pas de dépasser leurs schémas de pensée habituels. Ils ne s’autorisent pas à sortir hors du cadre, à penser hors des sentiers battus. De plus, dès qu’ils trouvent une ou deux idées, ils s’arrêtent !  Or comme le dit Linus Pauling, double prix Nobel de chimie : «  le meilleur moyen d’avoir une bonne idée et d’avoir beaucoup d’idées ! ».

Des enseignants qui créent un jeu de créativité

Dès lors comment aider nos étudiants à être plus créatifs et surtout à croire en leur potentielle créativité ? Comment les conduire à générer un maximum d’idées face à un problème. Et ce d’autant plus que la créativité s’apprend en faisant, plus un étudiant pratique la génération d’idées, plus il générera par la suite des idées de qualité (Baruah et Paulus, 2008).

Pendant un an, notre groupe d’enseignant issu de disciplines universitaires variées (management et accompagnement de l’innovation, designer, information et communication, lettres modernes, linguistique) a tenté d’identifier des mécanismes et stimuli susceptibles d’amener des étudiants à générer un grand nombre d’idées créatives. Nous avons intégré ces mécanismes dans un jeu appelé Le Bus à l’envers afin de favoriser la génération d’idées créatives.

Le Bus à l’envers, une boîte à outils pour la créativité

Appelé « Le Bus à l’envers »*, ce jeu amène à adopter plusieurs points de vue d’une situation donnée, à imaginer un grand nombre de solutions à un même problème ou une même question, à voir des choses au-delà de ses habitudes, a priori, ou cadres de pensée, et à construire des connexions, des arborescences et des associations entre des éléments sans lien apparent. Il conduit donc les participants à générer des propositions inattendues par de multiples invitations à sortir des habitudes de raisonnement classique.

Composé de huit types de cartes, ce jeu de 48 cartes permet aux étudiants d’une part de transposer des informations d’un domaine à un autre pour trouver des correspondances et d’autre part de changer d’optique et de raisonner à l’envers comme le montre l’exemple en encadré. La diversité des cartes multiplie les modes de pensée qu’ils soient écrits, visuels par des images concrètes ou abstraites, conceptuels, narratifs, argumentés… Le jeu permet de mobiliser de manière très agile différents mécanismes intellectuels combinatoires, exploratoires, associatifs ou disruptifs… « Le bus à l’envers » propose ainsi une pluralité des modes d’interrogations du problème en variant la sollicitation des participants.

Un exemple d’utilisation du jeu de créativité Le Bus à l’Envers

Partons du problème à résoudre qui est le suivant : comment donner envie aux adolescents de 12-16 ans d’aller visiter les musées et des expositions d’art ?

Si l’enseignant souhaite faire générer beaucoup d’idées par des mécanismes de correspondance, il peut partir du type de carte « 5 sens » qui s’appuie sur les 5 sens humains (odorat, goût, toucher, ouie et vue)

Le participant tire la carte : goût épicé.
1ère consigne : se laisser envahir par les sensations et exprimer les ressentis que procure le mot épicé. Naturellement et sans effort, les mots suivants peuvent venir à l’esprit : piquant, brûlant, voyage en orient, piment, poivré, exotique, rouge…
2ième consigne : associer un ou plusieurs des ressentis avec le problème à résoudre : rendre la visite plus fun en la pimentant avec des énigmes, piquer la curiosité des jeunes par des histoires à terminer en se fondant sur les tableaux présents, élire l’œuvre d’art la plus piquante…

Si l’enseignant souhaite faire raisonner l’étudiant à l’envers et le faire changer d’optique, il peut partir du type de carte « 360° ».

Le participant tire la carte « radicalement différent du quand ».

1ère consigne : considérer les nouvelles contraintes : avant d’aller à l’école, quand je n’ai pas le temps, après la visite, avant la visite, quand je veux, en dix fois sans frais…
2ième consigne : transformer les contraintes énoncées en nouvelles idées pour résoudre le problème : visite fractionnée avec un seul ticket, visite avec la gopro de mon copain, visite contée à distance, visite sportive couplée au cours de gym…

Nos constats après quelques mois d’utilisation

Nous avons testé dans nos cours, lors de workshops créatifs ou encore d’ateliers de créativité les différentes cartes du « Bus à l’envers ». Les cartes les plus faciles à utiliser par les étudiants sont celles des 5 sens et des VIP avec une préférence des participants pour ces dernières. Les VIP demandent aux participants de décadrer leur pensée en entrant dans l’univers d’une personne connue. Cela leur permet de générer assez facilement des idées pour ensuite les associer aux problèmes créatifs et surtout cela les décadre de leurs propres idées. Les cartes visuelles à partir desquelles il convient de construire une histoire réelle ou imaginaire, présentent également un fort potentiel évocateur pour générer des idées.

Au final, le jeu «  Le bus à l’envers » facilite bien la génération d’idées (parfois disruptives mais pas toujours) même s’il nécessite un effort d’appropriation par l’enseignant et les participants de la session créative.

En ce sens, ce jeu rejoint les travaux sur la ludification qui montrent que le jeu est important et qu’il est partie intégrante du processus d’apprentissage. Avec le jeu, il est plus facile d’apprendre et d’acquérir des connaissances notamment celles liées aux mécanismes de créativité.

Avec le jeu, il est plus facile d’adopter des regards différents et d’accepter des chemins de pensées novateurs. Il est aussi plus facile d’engager activement les étudiants dans leurs processus d’apprentissage (Dehaene, 2018). De plus, il est possible de créer un climat de confiance propice à l’apprentissage par essais erreur, modalité indispensable pour travailler dans l’innovation et la créativité.

Article rédigé par Guy Parmentier et Marie-Laurence Caron-Fasan

*Le jeu Le Bus à l’envers® a été conçu par Marie-Laurence Caron-Fasan, Marie-Claire Greiner, Jean-François Hugues, Guy Parmentier, Céline Péréa, Bruno Poyard, Morgane Roche avec le soutien matériel et financier de Promising et l’appui de l’éditeur de de jeu Kaperly

Pour en savoir plus ou commander le jeu chez Kaperly

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