Les serious games notamment les jeux de simulation sont des outils intéressants pour renouveler les pratiques d’enseignement, pour innover dans la pédagogie. Ils permettent de motiver les étudiants et proposent un espace d’entrainement intéressant pour acquérir des compétences de managements. Néanmoins leurs insertions dans une organisation d’enseignement supérieure n’est pas simple. L’arrivée de ces outils pédagogiques provoquent des changements dans les relations entres les différentes parties prenantes d’une institution académique : étudiants, enseignants, planification, services informatique, direction… Ces outils ne sont donc pas neutre et leur introduction dans une organisation s’apparente à de l’innovation qui nécessite de la conduite du changement.
Nous avons expérimenté l’introduction d’une collection de serious games dans les pratiques pédagogique à l’Ecole Supérieure de commerce de Chambéry. L’expérimentation a durée un an, elle a concerné 8 enseignants chercheurs et 300 étudiants. Elle a été pilotée par trois membres du laboratoire de recherche de l’axe de recherche « Management Innovant et Management de l’innovation ».
Implémenter les serious games dans les pratiques pédagogique
Pour implémenter les serious games dans les pratiques pédagogique dans une logique de conduite du changement, les promoteurs du changement avaient deux méthodes possibles : l’expérimentation sur un petit périmètre avant de le généraliser à tous, ou le pilotage de l’utilisation sur une durée limitée avant de laisser se déployer sans limite de temps.
Dans la première méthode, on observe ce qui se passe avant de le généraliser par la suite. Dans ce cadre, les risques sont limités pour l’organisation, on peut tout essayer avec les enseignants chercheurs les plus actifs. Néanmoins cette méthode a du mal à impliquer les enseignants chercheurs qui voient dans l’expérimentation quelque chose de provisoire.
Dans la deuxième méthode, on avance avec plus de prudence avec l’ensemble des enseignants chercheurs en essayant d’apprendre ce qui est nécessaire pour piloter un dispositif plus global. Cette méthode est plus risquée et elle demande une implication forte de la direction de l’organisation. De plus, les enseignants chercheurs risquent de percevoir l’arrivée des serious games comme une décision imposée par la direction. En définitive, les promoteurs du changement ont choisi de mixer les deux méthodes, ils ont mis en place une expérimentation qui ne concerne que quelques thématiques de cours mais qui était ouverte à tous les enseignants chercheurs et à tous les niveaux d’étude (licence, master 1, master 2, et formation continue), sur une durée limitée. Les jeux choisis sont des Serious Games pour l’apprentissage de compétences de management de l’éditeur Daesign.
L’éditeur Daesign développe principalement des serious games qui simulent des conversations dans des situations de management, de vente, de gestion de projet ou de relation clients. Ces jeux ont été conçus à l’origine pour être déployés en formation professionnelle au sein de grandes entreprises. L’ESC Chambéry a passé un accord de partenariat avec l’éditeur, en contrepartie du prêt de quatre jeux : Les 7 comportements d’achat, Entretien Annuel d’évaluation, Gestion de projet et Le savoir vivre en entreprise. L’école s’est engagée à faire un bilan sur la manière dont les enseignants se sont appropriés ces outils afin de détecter les modifications nécessaires pour adapter ces jeux au monde académique. Il s’agissait aussi pour l’école de mettre au point les bonnes pratiques d’utilisation des serious games afin d’en tirer les enseignements nécessaires à un déploiement plus global.
Situation d’usages des serious games
Après une présentation par l’éditeur de son catalogue de serious games disponibles, des enseignants volontaires se sont engagés à utiliser les jeux dans leur cours en contrepartie de leur participation au bilan de l’expérimentation. Huit enseignants ont utilisé les jeux dans cinq situations d’usages : solo en présentiel (un étudiant par ordinateur en salle informatique), solo à distance (accès libre au jeu à distance sur une période limitée dans le temps), groupe en présentiel (un groupe de 2 à 4 étudiants par ordinateur en salle informatique), démonstration devant une classe (le professeur utilise le serious game pour illustrer son cours).
Au total ce sont 300 étudiants qui ont utilisé les serious games de l’éditeur. A l’issue de l’expérimentation, toutes les parties prenantes impliquées dans le déploiement et l’utilisation des serious games ont été interrogées : les enseignants, les étudiants, le service informatique, la planification et la direction académique. Le bilan de cette première année d’utilisation des serious games de Daesign a fait ressortir les points clefs pour favoriser l’insertion de ces jeux dans les pratiques pédagogiques et l’acceptation par les étudiants.
Favoriser l’innovation pédagogique avec les serious games
Sur le plan des processus pédagogique :
- Il est nécessaire de légitimer l’utilisation des jeux auprès des étudiants qui ont un rapport au jeu dans un cadre du loisir et n’adhèrent pas automatiquement à l’utilisation de jeux vidéo dans un cours.
- Le travail effectué dans le jeu doit être systématiquement évalué, même quand le jeu ne prévoit pas de dispositif de contrôle des acquis.
- L’accès à distance nécessite de renforcer les acquis par un débriefing en groupe et en présentiel.
- En cas d’accès à distance, il est préférable de créer de la rareté en limitant les périodes d’accès au jeu afin que les étudiants réalisent le travail dans le temps de jeu imparti et éviter ainsi la procrastination.
Sur le plan organisationnel :
- Jouer sur l’image de la méthode pour attirer les enseignants volontaires
- Cibler en priorité les étudiants en formation continue et les masters spécialisés
- Les enseignants ont besoin d’un guide d’utilisation spécifique qui explique les principales composantes de la simulation pour répondre plus facilement aux questions des étudiants.
- Sur un plan institutionnel, il est nécessaire d’inscrire l’utilisation des serious games dans la durée pour assurer aux enseignants une pérennisation de leur investissement en temps.
- De même qu’il est primordial d’impliquer dès le départ le service informatique et la planification des salles pour accompagner les efforts logistiques supplémentaires provoqués par le déploiement des serious games.
Caractéristiques à privilégier pour le choix du Serious Game :
- Les serious games qui permettent de récupérer le parcours des étudiants sur un LMS
- Les serious games qui proposent un mode administrateur
- Les serious games qui proposent un tutorial pour les étudiants
- Les serious games qui permettent de refaire en totalité ou en partie la simulation en changeant les choix
En définitive, cette expérimentation a été une réussite. Il est possible d’utiliser les Serious Game dans les programmes sans bouleverser l’ensemble des pratiques pédagogiques tout en bénéficiant des avantages de la simulation. Néanmoins reste la question de l’offre et des moyens. Pour le moment, une offre adaptée à l’enseignement supérieur est quasiment inexistante en langue française. De plus se pose la question des moyens. Même dans une institution comme une école supérieure de commerce il est difficile d’augmenter sensiblement les dépenses liées aux dispositifs pédagogiques de manière conséquente.