« Lors de ma formation Master Black Belt « Lean6sigma » après avoir passé plusieurs années dans la conduite de projets et l’amélioration de processus dans le domaine des services, j’ai eu l’occasion de découvrir la démarche d’innovation TRIZ. J’ai immédiatement été intéressé et assez vite convaincu que cette démarche pouvait être utile dans nos domaines dits transactionnels. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de livrer mon point de vue sans prétention en souhaitant que cet article serve éventuellement de base pour une réflexion plus poussée sur le sujet ou de point de départ pour ceux qui souhaiteraient découvrir TRIZ. Même s’ils ne sont pas familiers avec les domaines industriels.
TRIZ de quoi s’agit-il ?
Dans la littérature, la définition précise de l’acronyme TRIZ est : « Théorie de la résolution des problèmes inventifs» du russe (Teorija Reshenija Izobretateliskih Zadatch). Cette théorie qui pourtant nous propose des outils très pratiques souffre pour l’heure d’une image de complexité et est perçue par les néophytes comme étant un « sujet d’experts ». Bien que beaucoup de groupes de réflexions fassent des efforts pour lever l’opacité qui règne sur la matière (ex : association « TRIZ Québec »1 très active sur le sujet), le sujet reste encore entier concernant les entreprises de service.
Voici en synthèse les principes de la méthode TRIZ inventée par l’ingénieur russe Genrich Altshuller en 1946 : en analysant un grand nombre de brevets déposés par des ingénieurs internationaux, G.Altshuller en est venu à la conclusion que tout problème a dans son ensemble ou en partie déjà fait l’objet d’une réflexion et d’une résolution dans un domaine similaire ou différent.
Pour être plus précis, tous les problèmes rencontrés pendant le développement d’un nouveau produit présentent des analogies entre eux quel que soit le domaine. Des principes de résolution analogues doivent également pouvoir s’appliquer.
Cette approche permet de mettre en œuvre des solutions innovantes pour des problèmes de toute nature. Pour cela, TRIZ propose un certain nombre d’outils ex : IFR (idéal final result), Nine screens, ou les Contradictions. (voir schéma ci-dessous)
Feuille de route démarche et outils TRIZ (source cabinet de conseil BMGI)
L’analyse des « Contradictions » est une des démarches les plus connues. Elle se base sur le postulat suivant : lors de toute nouvelle conception ou même amélioration nous sommes toujours confrontés à des problèmes. Ces problèmes surviennent lorsque l’on essaie d’atteindre deux états manifestement contradictoires. Plus précisément lorsque le fait d’améliorer une fonction entraine la détérioration d’une autre fonction dont nous souhaitons conserver la performance.
Un exemple d’innovation de la vie courante avec TRIZ
Nous souhaitons construire un vélo aussi léger qu’un livre. Vous imaginez tous les avantages qu’apporterait cette invention aux cyclistes du monde entier. Si nous appliquons les outils « Idéality » et l’IFR la solution idéale serait « un vélo en papier ».
Ce défi original a été relevé par un expert en conception de lignes de production de masses automatisées, passionné de cyclisme: Izhar Gafni. Vous trouverez aisément sur internet des vidéos relatant son histoire2.
Mais dans ce cas, une fois l’idéalité verbalisée, nous pouvons raisonnablement avancer que ce n’est pas suffisant. En effet un vélo aussi léger soit-il ne permettra pas de faire le tour de France. I. Gafni a dû résoudre la contradiction suivante :
Concevoir un objet léger, par conséquent fragile et instable, ou alors le solidifier et le stabiliser ce qui est synonyme d’alourdissement. La contradiction vient du fait que pour répondre aux besoins exprimés, l’objet devrait être simultanément léger et lourd. Ce qui spontanément, vous en conviendrez n’est pas un problème facile à résoudre. Il faudrait s’affranchir du cadre de réflexion classique qui nous amène habituellement à d’inévitables compromis.
Dans le cas du vélo en papier, l’utilisation des « 40 principes »3 nous aurait amené à trouver la solution suivante : utiliser un matériau à plusieurs couches (plusieurs couches de carton rendent la construction plus solide tout en conservant le faible poids).
Les outils proposés par TRIZ pour réfléchir de façon inventive sont nombreux et pourraient nécessiter des semaines de formations et d’applications. Voici quelques exemples que vous pouvez retrouver par ailleurs dans la littérature :
L’idéal final result, les principes d’innovation, paramètres techniques, la matrice de contradictions, techniques, les 9 screens …
Quel est l’intérêt d’utiliser TRIZ dans l’innovation de services ?
« Pourquoi chercher à réinventer la roue alors que la solution existe déjà » G.Altshuller.
Rappelons que TRIZ signifie théorie de la résolution des problèmes inventifs. Il est clair qu’aujourd’hui dans nos entreprises nous rencontrons toutes sortes de nouveaux défis, et que nous manquons souvent d’inventivité dans la manière de les résoudre.
En fonction des problématiques rencontrées par les entreprises, un certain nombre de théories ont été empruntées à différents domaines : la psychologie, le comportemental, les statistiques, voire même la philosophie. Nous utilisons donc aujourd’hui plusieurs méthodes pour accroitre la performance de nos entreprises : le Lean six Sigma, le change management, la Programmation neurolinguistique. Ces méthodes plus ou moins avancées sont aujourd’hui employées dans les entreprises de service alors qu’initialement seules les entreprises industrielles y adhéraient.
Toutes ces méthodes sont plus ou moins efficaces au regard de la maturité des organisations concernées et de la volonté managériale qui y règne. Une chose est sûre, nous réinventons souvent plusieurs fois la roue. Pourquoi ne pas se tourner vers cette méthode alternative ?
Beaucoup de recherches ont été faites ces dernières années sur la possibilité d’utiliser TRIZ pour résoudre des problèmes issus de domaines dit « non techniques » ou non industriels4.
Il est assez évident dans un contexte de maitrise des coûts de songer à utiliser une démarche qui se base sur la capitalisation, l’utilisation de solutions existantes et de ressources à disposition. Reste à répondre à une question importante : TRIZ est-il adapté à nos problèmes quotidiens dans les sociétés de service?
Je serais tenté de répondre positivement à cette question.
Pour illustrer mes propos, nous allons prendre un des outils les plus utilisés de la démarche TRIZ : les « 40 principes d’innovation » 5et tenter de démontrer par quelques exemples son application pratique dans des problématiques dites de sociétés de service.
Exemple 1 : Le service des relations clientèles note des problèmes de qualité importants car les clients se plaignent de manière récurrente. Pour résoudre ce problème, nous pouvons appliquer le principe 22 « transformation d’un problème en opportunité » :
Dans la table des principes, nous trouverons pour l’illustrer les suggestions liées à l’industrie suivantes :
- Utiliser la chaleur des centrales d’incinération pour générer de l’électricité.
- Les déchets d’un processus utilisés comme matière première d’un second.
Gennady Retseptor 6, propose de traduire ces principes dans le cadre de processus transactionnels avec les suggestions suivantes pour le principe 22 :
- Utiliser les réclamations client comme des opportunités d’amélioration
- Les clients dont les réclamations on été traitées correctement sont plus fideles que les clients qui ne se sont jamais plaints.
Une des solutions possible serait donc de profiter des opportunités qu’offrent les réclamations pour fidéliser le client et pourquoi pas l’équiper d’avantage avec les produits de l’entreprise.
Exemple 2 : Une situation réelle arrivée dans une entreprise de services: Il est nécessaire de faire signer un avenant de contrat d’assurances à un grand nombre de clients suite à une évolution réglementaire. Ceci implique de déranger à nouveau le client pour un acte qu’il pourrait considérer comme sans valeur ajoutée.
On peut alors appliquer le principe 9 de la matrice TRIZ « contre action préalable » : lorsqu’il est nécessaire de mettre en place une action qui aura simultanément des effets positifs et négatifs pour le client,
Exemples liés à l’industrie :
- Cible de ball-trap (pigeons d’argile) en glace pour qu’elles disparaissent complètement en fondant.
- Barres précontraintes pour le béton armé.
- Exemple transactionnel :
- Action proactive : envoyer un courrier explicatif avant l’opération afin de désamorcer les questions et inquiétudes qui ne manqueront pas de se manifester
Nous constatons que la dernière solution répond pleinement à notre problématique liée au domaine des services.
On voit à travers ces exemples qu’il n’est pas très compliqué de trouver une résonance dans le domaine des services même si la démarche a clairement été conçue pour l’industrie.
Et si demain des programmes TRIZ d’innovation étaient développés comme des programmes d’« Excellence Opérationnelle » ?
Avec ces quelques illustrations et une bonne dose de pratique des outils, on pourrait facilement imaginer que demain TRIZ devienne une démarche additionnelle pour les entreprises qui cherchent de nouvelles poches de gains après avoir largement utilisés les démarches d’amélioration classiques comme le DMAIC.
De plus, ces entreprises pourraient également bénéficier d’un moyen original et robuste d’intégrer l’innovation dans la culture d’entreprise.
En parlant d’entreprises je cible les services et plus particulièrement les institutions financières (banques et assurances). Fondamentalement la difficulté d’appréhender TRIZ comme une option d’aide à l’innovation (et donc à l’amélioration) vient du fait que la majorité des outils utilisés intègrent des notions industrielles relevant parfois des sciences fondamentales.
L’écueil majeur de cette option serait de devoir entreprendre un travail de vulgarisation voire de traduction, suivi d’un travail rigoureux d’adaptation aux domaines transactionnels. La faible pénétration de TRIZ dans les services est très probablement due au manque de traduction de ces concepts du langage industriel.
Pour cela le plus simple serait d’adopter une stratégie de déploiement par l’exemple de succès liés à l’utilisation de TRIZ. Certains projets pouvant déjà faire appel à des outils pour favoriser la créativité. Utiliser des projets pilotes afin de mesurer les impacts et convaincre de la pertinence de TRIZ. Et seulement si les résultats sont au rendez-vous il sera à mon sens très envisageable de la démocratiser dans les entreprises de service.
L’innovation est un enjeu majeur dans les entreprises et ce phénomène va aller en s’accentuant dans ces fortes périodes de concurrences. Se priver d’une démarche comme TRIZ serait donc préjudiciable pour les dirigeants et les plus visionnaires d’entre eux s’en rendent désormais compte. Mon pari est que d’ici 5 ans chaque grande entreprise aura dans son portefeuille d’initiatives, un programme TRIZ qui pourra être soutenu par des experts de type « TRIZ Masters »7. La compétence TRIZ est clairement un atout qui deviendra de plus en plus convoitée.
Pascal Tshilenge
Notes sur l’auteur : Diplômé en master « marketing et management » Pascal Tshilenge est directeur de projets avec plus de 10 ans d’expérience en gestion de projet et coaching pour plusieurs compagnies d’assurances. Il est également Master Black Belt dans la démarche Lean6sigma .
Notes :
1 http://www.creativitequebec.ca/Techniques_TRIZ_2.html
4 Darrell Mann : “Hands on systematic innovation : for business and management”/ Stephen Dourson : ”The 40 Inventive Principles of TRIZ Applied to Finance “/Jun Zhang, Kah-Hin Chai, Kay-Chuan Tan : ”40 Inventive Principles with Applications in Service Operations Management”
5 Matrice TRIZ sur le site TRIZ 40
6 Quality Assurance Manager of AVX Israel Ltd, plant of AVXCorporation. Il est titulaire d’un « master’s degree » avec honneurs en Microélectronique de l’université « Moscow Steel and Alloys University ».
7 « Expert certifié dans la méthode TRIZ »
Bonjour,
Nous avons des préoccupations communes : faire découvrir TRIZ, simplement et progressivement.
Voir le livre.
Cordialement
Merci pour votre article qui réconcilie l’amélioration continue et l’innovation (qui, de mon point de vue, ne doivent pas être considérés comme des éléments dissociés). TRIZ apporte a l’amélioration continue comme l’amélioration continue apporte à TRIZ.
mes posts sur ce sujet:
http://triz-experience.blogspot.be/search/label/KAIZEN
Merci, Pascal, pour ainsi contribuer au devoir d’un « maître » et diffuser le savoir-faire dans la communauté.
Ton diplôme de Lean Six Sigma Master Black Belt, certifié par BMGI, est bien merité (et cette publication n’est qu’une partie). Tu n’a pas choisi le chemin le plus simple en travaillant sur l’innovation en ce qui est, à la base, une pratique d’amélioration continue.
Félicitations!
Amitiés, Michael