Dans les mondes virtuels, l’utilisateur agit dans le monde et avec les autres utilisateurs par la médiation d’un avatar. L’avatar est constitué d’un nom, d’une représentation 2D ou 3D et d’une fiche d’information sur l’individu du monde physique et ses groupes d’appartenances.
Selon Dominique Cardon, les mondes virtuels seraient une “Lanterna Magica” dans lesquels l’individu se cacherait derrière son avatar en découplant son identité réelle de celles qu’ils endossent dans le monde virtuel. Mais qu’en est-il réellement ? Quels sont les rapports entre un individu et son avatar ? L’identification à l’avatar participe t’elle à l’identité de l’individu ?
Une des hypothèses récente la plus intéressante sur l’identité, est que l’identité est un processus continu de construction entre le regard des autres et le regard sur soi se nourrissant en permanence du vécu de l’individu. Dans la société site “moderne”, suite à une multiplication des rôles disponibles et à une plus grande marge de manœuvre dans la manière de les habiter, l’individu mettrait en place un processus de construction identitaire permanent. Dans ce contexte, les mondes virtuels pourraient être un outil disponible de construire identitaire de l’individu.
En s’appuyant sur une immersion pendant 4 mois dans Second Life et la réalisation de 34 entretiens en messagerie instantanée avec des résidents, nous avons repéré quatre postures identitaires du résident dans Second Life. Nous avons axé nos entretiens de façon à mesurer qualitativement les écarts entre l’identité de l’individu et l’identité d’avatar en s’intéressant aux différences morphologiques et comportementales, et la perméabilité de la frontière entre le monde virtuel et le monde physique.
Les postures identitaires dans Second Life
1 – La duplication.
Les résidents possèdent un avatar qui est à la fois proche physiquement de leur apparence dans le monde physique et qui reflète la totalité de leur personnalité (avatar double). Ils se dupliquent pour profiter des possibilités offertes par le monde virtuel. Leurs activités sont essentiellement centrées sur les affaires et la création. Il s’agit pour l’utilisateur d’agir sur le monde virtuel comme il agirait sur le monde physique. Le monde virtuel est un lieu pour vivre sa vie, au même titre que la vie dans le monde physique. L’un n’est pas meilleur que l’autre, ils offrent des possibilités différentes. L’avatar c’est lui-même, il n’y a donc pas de raison de faire une rupture entre les deux mondes. Il prend par contre les mêmes précautions au niveau relationnel que dans le monde physique en établissant les relations progressivement et en demandant des gages de confiance.
2 – L’amélioration légère
Les résidents possèdent un avatar qui améliore leurs caractéristiques physiques mais la personnalité de l’avatar reste très proche de leur personnalité (avatar extension). Ils ne jouent pas un rôle de composition. Ils profitent du monde virtuel pour être physiquement ce qu’ils ne peuvent pas être dans le monde physique et pour exposer le meilleur d’eux-mêmes. Le monde virtuel est une plate-forme pour créer une version de soi qu’il est difficile d’obtenir dans le monde physique. Les activités de ces utilisateurs sont très variées, à la fois tournées vers les affaires, la création, les loisirs et les rencontres. Le monde virtuel n’est qu’une extension du monde physique, un détour pour agir sur le monde physique, obtenir de nouvelles relations sociales dans le monde physique, de nouvelles compétences, de nouvelles idées et de nouveaux revenus. Ces utilisateurs se méfient du monde virtuel, mais ils ne créent pas forcément une rupture entre les deux mondes, ils prennent cependant des précautions plus importantes que dans la posture de duplication.
3 – L’amélioration forte
L’amélioration est plus avancée que dans la posture précédente, elle touche aussi la personnalité. Il s’agit de gommer dans la personnalité de l’avatar tout ce que l’utilisateur n’aime pas dans sa personnalité ou tout ce qui lui est difficile à assumer. Un timide ne sera plus timide dans le monde virtuel. Un impulsif essayera de plus se contrôler. Le monde virtuel devient ainsi aussi une plate-forme de création de soi, pour se reconstruire ou poursuivre l’exploration de sa personnalité. Les activités des avatars sont essentiellement portées sur les loisirs : l’exploration, la discussion, la “drague”, le sexe. L’avatar agit à la fois sur le monde virtuel mais aussi sur le monde physique au niveau de la personnalité de l’utilisateur grâce à un processus d’apprentissage identitaire. Le monde virtuel prend le pas sur le monde physique mais l’amélioration obtenue dans le monde virtuel est peu durable et difficilement transférable dans le monde physique. La forte rupture entre le monde virtuel et physique ne facilite pas le transfert des acquis. Le monde virtuel devient une plate-forme pour s’évader des limitations du monde physique.
4 – La métamorphose
Les résidents possèdent un autre soi qui est presque “autonome” dans sa forme limite. Ils changent souvent l’apparence de leur avatar et l’avatar ne leur ressemble pas physiquement. (avatar autre) Au niveau de la personnalité de l’avatar, ils jouent un rôle de composition. Ce rôle peut être affirmé et assumé quand l’utilisateur annonce faire du roleplay, c’est-à-dire jouer un personnage dans Second Life. Dans ce cas, ce rôle est expliqué dans la fiche profil. Il peut être masqué quand les utilisateurs s’amusent à se comporter de manière très différente de leur vie dans le monde physique. Ce rôle peut être positif (je suis sympa, beau et riche) ou négatif (je suis sombre et manipulateur). Le monde virtuel devient alors une plate-forme pour vivre une autre vie, s’évader des limitations du monde physique. Cependant l’opération de métamorphose a quelquefois des répercutions sur le monde physique au niveau de la personnalité des utilisateurs. La mise en œuvre de différentes identités permet au résident de les tester afin par la suite d’effectuer des choix identitaires.
Second Life : une plate-forme de simulation identitaire ?
Dans les postures d’amélioration et de métamorphose, le monde virtuel semble être un outil de construction identitaire. En créant différents avatars et en jouant différents rôles, l’utilisateur expérimente des soi possibles. Les soi possibles “représentent une sorte de sélection d’identités virtuelles concrètement réalisables dans une situation donnée” (Kaufmann 2004). La mise en œuvre de ces soi possibles dans un monde virtuel permet de tester leur viabilité à la fois au niveau de l’individu et du social. Dans le contexte moderne de construction identitaire permanente, l’individu met au point un registre hiérarchisé des identités de rôles disponibles. L’individu garde sa capacité d’arbitrage dans le choix des identités qui seront mobilisées.
Le monde virtuel réduit les risques d’exposition de soi par rapport au monde physique. L’avatar reste une façade entre lui et les autres. Dans les postures d’amélioration et de métamorphose, il n’est pas tout à fait lui-même. L’interaction avec l’autre est en effet “soft” et non “hard”, le corps est absent, sa personne “réelle” est au second plan.
Ces trois caractéristiques, absence du corps physique, transfert partiel de soi dans l’avatar, médiation de la relation par l’avatar contribuent à réduire les risques d’exposition de soi aux autres dans un monde virtuel. Cette limitation du risque incite à en prendre un peu plus et à tester des soi possibles, pas seulement en imagination, mais sur le “terrain” du monde virtuel.
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