la génération d’idées d’utilisateurs de services basés sur de la technologie

Les caractéristiques des idées créées par les utilisateurs sont-elles dépendantes de la manière dont les utilisateurs sont impliqués dans le processus d’innovation ? C’est la question que sur laquelle travaillent depuis quelques années deux chercheurs suédois, Kritenson et Magnusson de l’université de Karlstad.Les travaux de Von Hippel (Von Hippel 1999) montrent que beaucoup d’idées originales ont été créées à l’extérieur des sociétés qui les ont exploités par des utilisateurs finaux ou intermédiaires nommés Lead User. Cependant les innovations, issues des utilisateurs finaux, étaient basées sur des technologies assez « simples », ne nécessitant pas une infrastructure technique importante. Les services se basant sur de la technologie ont la caractéristiques d’être stockable, répétable et standardisé, et ils s’appuient souvent sur une architecture globale qui ne peut être maitrisée par un utilisateur isolé ou une communauté d’utilisateurs. C’est notamment le cas des services de télécommunication qui mettent en œuvre à la fois des infrastructures réseaux et des terminaux complexes. Travailler avec l’utilisateur dès la phase de génération d’idée prend alors toute son importance. Si l’utilisateur ne peut être le développeur de l’innovation, il a probablement des idées nouvelles qui seront différentes des idées des concepteurs internes aux sociétés et qui seront plus proches de ses besoins.

Cependant, quels statuts donner à ces idées ? Trop créatives, elles risquent d’être infaisables, trop faisables, elles risquent d’être peu innovantes. En d’autres termes, quels est l’impact des connaissances techniques sur la créativité des utilisateurs ? Il se peut que le potentiel créatif des utilisateurs soit en réalité dépendant des connaissances « de ce qui est possible ».

La recherche est assez divisée sur cette question. On a d’en côté, ceux qui affirment que l’expertise est nécessaire pour être créatif. Une des caractéristiques des Lead User, c’est d’être un expert de son domaine (Voss 1985). L’expertise pour Amabile (1999) est une des composantes fondamentale de la créativité avec la pensée créative et la motivation. Une connaissance étendue d’un domaine crée ainsi un environnement propice à la créativité, et constitue ce que le prix Nobel, Herbert A. Simon appelle « le réseau d’errances possibles ». Cependant, d’autres chercheurs (Dahl and Moreau 2002) montrent que l’amorçage peut réduire la créativité. « Savoir ce qui est possible » limite alors « la création des autres possibles ».

Un autre paramètre a un fort impact sur la créativité, c’est la motivation de l’utilisateur. Des chercheurs ont étudié le lien entre motivation et innovation (Amabile 1998, Amabile, Hadley et al. 2002), ils montrent que la motivation intrinsèque est positive pour la créativité alors que la motivation extrinsèque est négative. Quand vous êtes engagé dans une activité créatrice, si le résultat a de la valeur pour vous, vous êtes intrinsèquement motivé alors que si cette activité est effectuée pour obtenir « quelque chose » juste parce que l’on vous l’a dit, vous êtes extrinsèquement motivés. La recherche sur les Lead User confirme ce lien, le Lead User est intrinsèquement motivé pour produire une innovation qui aura une haute valeur utilisateur pour lui-même en répondant à un besoin non satisfait par le marché, mais qui deviendra par la suite un besoin pour une grande partie des consommateurs (Von Hippel 2005).

L’impact des connaissances technologiques et de la motivation sur la nature des idées générées par les utilisateurs
Kristensson et Magnusson (2005) ont cherché à en savoir plus sur l’impact des connaissances techniques et de la motivation sur la créativité des utilisateurs. Ils ont mis en place une expérimentation en laboratoire pour tester l’impact de deux variables indépendantes : l’influence de la connaissance de la technologie et le type de motivation. Ils ont crée quatre groupes de 12 personnes en faisant varier le niveau d’information technique donnée aux utilisateurs et le type de service à inventer (pour eux-mêmes ou pour des hommes d’affaires internationaux). Les idées générées par ces groupes ont ensuite été évaluées sur leur niveau de créativité par un jury d’experts. L’expérience a aboutit à :
– Les participants non contraints par la technologie ont produit significativement plus d’idées originales.
– La motivation intrinsèque et aucune restriction technologique semblent être la meilleure combinaison pour réaliser des idées d’utilisateurs radicales.
– La motivation intrinsèque et la restriction technologique semblent être la meilleure combinaison pour réaliser des idées d’utilisateurs incrémentales.
Ces résultats montrent que pour un service à base de technologie, les producteurs ont un intérêt à travailler avec des clients non contraints par la technologie pour créer des idées originales de futurs produits et services les concernant. C’est-à-dire des clients qui n’ont pas trop de connaissances dans l’ingénierie du domaine concerné et des services se situant dans leurs domaines d’intérêts. Cette découverte est plutôt troublante, dans la mesure, où dans les entreprises, les développeurs, expert d’un domaine, essayent d’innover pour un groupe cible dont ils ne font pas forcément partie, et ils se trouvent ainsi dans une situation de motivation extrinsèque. Ce qui pourrait expliquer la difficulté que rencontrent beaucoup d’entreprises à inventer des produits et services réellement utiles pour les consommateurs.

Du filtrage d’idée à la révision des modèles génératifs
Cependant quels statut donné aux idées utilisateurs ? Magnusson et Le Masson ont étudié le résultat de séance de création d’idée réalisées chez Telia (Le Masson et Magnusson 2003) dans le cadre du programme CuDIT (Client Driven IT Developement) autour de la création de services utilisant une plateforme reliant le SMS, le GSM et http-Call sur Internet. Dans l’étude la création d’idée à durée 12 jours et a générée 374 idées issues des utilisateurs. Ces idées ont ensuite été évaluées sur leurs aspects créativité et faisabilité. Les premiers résultats ont été assez décevants, faire participer les utilisateurs à la génération d’idée semble avoir une valeur assez limitée. Les utilisateurs produisent des services qui sont soit « me too », peu différente que ne le ferait des concepteurs professionnels ou « totaly out of the blue », c’est-à-dire qui serait rejeté par les procédés de filtrage des idées tant leur faisabilité est faible.
Les chercheurs se sont alors posés la question, pourrait-ils y avoir des « diamants » dans les pierres rejetées ? ils proposent alors de travailler sur les idées les plus originales, non pas en examinant leur faisabilité, mais pour comprendre la représentation implicite des experts des services mobiles (le modèle génératif dominant) et aider à transformer de nouvelles représentations (un modèle génératif révisée). Les travaux ont aboutis à la définition d’un nouveau modèle de service et d’un nouveau modèle d’utilisateur.

Ce changement de modèle a eu un impact fort au sein de Telia sur la manière de concevoir les services. Au lieu de concevoir seulement des services « prêts à l’emploi », il fallait aussi concevoir une trousse à outils qui permet à l’utilisateur de prendre une partie plus importante de la production du service. En conséquence les concepteurs conçoivent une boîte à outils et fournissent aux utilisateurs un espace de conception
Cette approche basée sur la révision des modèles génératifs est bien adaptée à une conjoncture économique dans laquelle il n’y a aucun modèle génératif dominant et dans laquelle l’évolution de la technologie et des modèles économique est extrêmement rapide, ce qui est le cas des services de communication aujourd’hui.

Conclusion
On voit à travers ces deux études que travailler avec l’utilisateur dans la phase de génération d’idée pour créer de nouveaux services basés sur de la technologie peut être profitable pour une entreprise. D’une part, il s’agit de prendre les idées, non pas, en tant que telles, mais comme une manière de réviser sa conception des services qu’on est en train de développer. D’autre part, il s’agit de trouver un équilibre entre informer un minimum pour ne pas aboutir à des idées « hors contexte » et trop informer, ce qui briderait la créativité des utilisateurs. Finalement, il s’agit aussi de travailler avec des utilisateurs qui vont être directement concernés, donc intrinsèquement motivés par les futurs services. Ces affirmations, cependant, se basent sur l’hypothèse sous-jacente que l’utilisateur est d’emblée créatif. Des questions se posent sur la nature de cet utilisateur. Faut-il impliquer uniquement des Lead User, ou plus généralement des personnes « parties prenantes » dans la conception des services innovants. Il est nécessaire de procéder à d’autres expérimentations pour déterminer les différents profils d’utilisateurs et la façon de les évaluer et de les impliquer en fonction des résultats escomptés.

Bibliographie

  • Amabile, T. M. (1998). « HOW TO KILL CREATIVITY. » Harvard Business Review 76(5): 76.
  • Amabile, T. M., C. N. Hadley, et al. (2002). « Creativity Under the Gun. » Harvard Business Review 80(8): 52.
  • Dahl, D. W. and P. Moreau (2002). « The Influence and Value of Analogical Thinking During New Product Ideation. » Journal of Marketing Research (JMR) 39(1): 47.
  • Kristensson, P. and P. Magnusson (2005). Involving users for incremental or radical innovation – A matter of tuning. International Product Development Management Conference. Copenhagen.
  • Le Masson, p. and P. R. Magnusson (2003). User ivolvement: from ideas collection towards a new technique for innovative service design, Ecoles des Mines. http://www.cgs.ensmp.fr/publications/sitearticleconception1/LeMassonMagnusson2003userinvolvementMCPC-Submitted.pdf
  • Von Hippel, E. (1999). Breakthroughs to Order at 3M. MIT Sloan School of Management. MIT.
  • Von Hippel, E. (2005). Democratizing Innovation, The MIT Press. http://web.mit.edu/evhippel/www/democ.htm
  • Voss, C. A. (1985). « The Role of Users in the Development of Applications Software. » Journal of Product Innovation Management 2(2): 113.

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