Business model et innovation chez Apple

Apple fait partie de ces entreprises qui ne connaissent pas la crise. Elle affiche une forme olympique : explosion des ventes de iphone, presque 20 millions d’appareil à ce jour, légère régression des ventes de micro sur un marché qui baisse fortement, forte progression des bénéfices, +15 % au premier trimestre 2009. La progression continue en 2010, Apple aurait vendu plus de 14 Millions d’iPhone les trois premiers trimestres de 2010.

Il est donc intéressant de s’interroger sur les clefs de ce succès, un savant mixage d’innovation technologique et d’innovation de business model. D’autant plus que contrairement à d’autres sociétés Apple ne base pas du tout son innovation sur le principe de l’open innovation, et sur les attentes des clients, s’éloignant ainsi très largement de la théorie du Lead User.

L’innovation continue chez Apple

L’innovation continue, même dans les périodes de difficultés. Entre 2001 et 2004, alors que les ventes de Macintosh et les bénéfices baissaient fortement, l’effort d’investissement sur l’innovation continuait de progresser. C’est un point important, la très grande majorité des entreprises qui connaissent des difficultés réduisent les investissements en R&D.

Une innovation de business model

Apple n’innove pas seulement sur le plan technologique mais a mis en place de véritable innovation de business model. Au lancement de iTunes, la presse était assez critique. Et pourtant, toute l’industrie a du s’y mettre, c’est même aujourd’hui peut-être le seul rempart contre le téléchargement illégal de musique. Apple ne vend pas en effet de la musique mais offre un service sécurisé et agréable à utiliser de mise à disposition de musique. Comment vendre quelque chose qui est devenue gratuit ? En le faisant mieux que le gratuit. Même principe pour l’App Store, comment lutter contre la gratuité de l’Open Source ? A terme les revenus issus de la distribution de logiciels tiers peuvent devenir aussi importante que la vente des appareils. Bien sur, à près de 1 milliards de téléchargement en quelques mois, un ratio de 1 à 1o entre les programmes gratuits et payants, et un prix moyen de 2,65 $, Apple ne devrait engranger que 300 millions de $ cette année avec App Store. Ce qui est négligeable au regard de son chiffre d’affaires globale. Mais imaginez 100 millions de iPhone et le développement d’applications professionnelles plus chères, la donne risque de changer. Apple a centrée son business model sur le mise en place d’une véritable plate-forme multi-face. Une telle plateforme met en relation les acteurs de l’industrie des contenus, des télécoms et de l’informatique : producteurs de musique et de films, éditeurs et développeurs de logiciels, éditeurs de jeux, opérateurs télécoms. Apple devient ainsi un intermédiaire pour l’accès à un marché soutenu et contrôlé par son écosystème technologique.

L’écosystème technologique d’Apple

La mise en place d’un écosystème technologique complètement sous son contrôle. Apple a choisi une stratégie à l’opposé de celle de Microsfot, laquellle se focalise sur le logiciel et essaye d’implémenter son système d’exploitation et ses logiciels sur un maximum d’ordinateurs et téléphones. Apple a réservé son système et ses logiciels à ses machines mais par contre elle a étendu la gamme de machines susceptible de communiquer avec ses ordinateurs et utilisant des parties de son OS : serveur xServe, iPod, iPhone, AppleTV. La stratégie d’Apple a donc été une stratégie d’intégration technologique verticale plutôt qu’horizontale, c’est à dire l’occupation du terrain de tous ce qui pourrait être « l’expérience numérique ». L’écosystème regroupe un ensemble d’appareil compatibles entre eux, un système d’exploitation robuste, des logiciels déclinés sur plusieurs appareils numériques, une infrastructure de distribution internet.

Une forte cohérence entre business model et roadmap technologique

La cohérence de son business model avec ses choix technologiques. Mettre en place iTunes peut sembler trivial, quelques serveurs, une base de données… Mais en fait, le faire au niveau mondial, avec des temps de téléchargement raisonnables, c’est très compliqué et surtout ça nécessite de développer des technologies couteuses. Derrière le service iTunes, on trouve des serveurs xServe, des solutions de stockage, une solution de développement de site web dynamique : webobject, une entreprise spécialisée dans l’optimisation des téléchargements, etc… Un ensemble de technologies et de filiales propriétés d’Apple. Imaginez l’effort que devaient fournir à la même époque Virgin ou la Fnac pour développer leurs solutions de vente de musique en ligne. On comprend mieux  pourquoi Apple a pris une telle avance dans la distribution de contenu en ligne.

Une vision à très long terme

Apple n’a pas raisonné à court terme mais mis en place un plan global à long terme. Pour construire une écosystème technologique, il faut plus de 2 à 3 ans, l’horizon moyen d’un plan stratégique d’entreprise. Apple a développé et racheté très tôt les technologies qui lui permettent maintenant de mettre en place l’iphone. Aujourd’hui, 80 % des ressources de développement logiciels sont mises sur l’iPhone, il faut s’attendre dès le mois prochain à la WWDC 09 et avant la fin de l’année 2009 à une cascade d’annonce. Autre exemple, le système Mac OSX a été dès ses premières versions compilé en parallèle sur processeur Motorola/IBM et Intel, le passage à Intel pour des raisons à la fois stratégique (meilleur intégration des macs dans la sphère PC) et technologique  (meilleur possibilité à terme pour Intel de développer des processeurs moins gourmands en énergie) a donc pu se faire très rapidement. De même qu’en 2006, Apple rachetait la société Proximity, spécialiste de la distribution de vidéo en ligne. Aujourd’hui, iTunes se développe sur la distribution vidéo, le service vient d’arriver en Allemagne. Que dire alors des derniers recrutements de Apple de spécialistes de développement de processeurs, Apple continue son offensive technologique en se donnant les moyens de concevoir un processeur maison, mieux adapté à ses futurs iPhone, iPod et autres appareils numériques.

La construction continue de barrières à l’entrée

Il semble aussi que Apple ait une forte capacité à créer des barrières à l’entrée sur ses technologies clefs. A chaque introduction de nouvelles technologies, Apple s’approprie la plus grande part de la capacité de production de ses fournisseurs. Le premier iPod utilisait un disque dur de 1,8 p que seul Toshiba savait produire en 2001. Il a fallu attendre fin 2003 pour que ses concurrents puissent enfin accéder à ce type de disque  dur et commercialisent des offres concurrentes. A ce moment là, Apple adoptait le microdrive en 2003, puis la mémoire flash NAND en 2005. A ce jour, elle achète encore la plus grande part des mémoires Flash de ce type. La même stratégie est utilisée pour les écrans tactiles de type capacitif qui équipent les iphone et ipad. A ce jour, la capacité de production est dédiée à plus de 50% pour Apple, et l’augmentation des lignes de production peinent à se mettre en place.

Une prise en compte très forte de la protection de l’environnement

Apple avait été fortement critiqué par Greenpeace à propos d’une fabrication très polluante de l’iPhone. Apple a écouté cet appel et mis en place une R&D pour limiter l’impact environnemental de ses produits. La nouvelle gamme de serveur xServe, à puissance égale, consomme 2 fois moins d’énergie que la gamme précédente. Le nouveau Mac Mini est l’ordinateur qui consomme le moins au monde (23 w). La dernière gamme de portable a exclus du procédé de fabrication les formes élémentaires de brome et de chlore, conçue un écran sans mercure et un verre sans arsenic. De plus, Apple met en place en France des opérations de récupération gratuite de tous les appareils informatique au sein des universités et institut de formation. Bien sur cette préoccupation environnementale n’est pas encore déterminante pour vendre un produit, mais est ce que ce sera encore la cas demain ?

Steve Job, un dirigeant hors norme pour Apple

Je ne vais pas ici faire la bibliographie de Steve Job : inventeur de l’Apple II, entrepreneur du Macintosh, créateur de Next et Pixar, initiateur du renouveau d’Apple et formidable « bousculeur » du marché du numérique avec l’aventure iPod et iPhone. Faut-il avoir un dirigeant de la carrure de Steve Job pour réussir ? Le dirigeant d’Apple est décédé en octobre 2011, la société continue pourtant à innover et à progresser. L »avenir nous dira si un dirigeant visionnaire est une condition nécessaire pour qu’une entreprise comme Apple continue à être un acteur majeur de la révolution numérique.

Alors faut-il imiter Apple? Probablement pas, la réussite d’Apple est le fait d’une histoire complexe qu’il est difficle de reproduire. Mais il y a surement, pour tous les entrepreneur des leçons à tirer de cette  aventure. En tant qu’utilisateur de macintosh depuis 1985 et chercheur en sciences de gestion, je suis cette aventure depuis longtemps et j’arrive encore à être surpris. Un feuilleton passionnant à suivre donc.

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18 Replies to “Business model et innovation chez Apple”

  1. Merci pour cette étude de cas qui détaille plus finement une partie des clefs du succès d’Apple, tant cité dès que l’on parle d’innovation aujourd’hui. Pour fréquenter de nombreuses conférences, c’est même souvent le seul cas mis en avant, alors que comme vous le faites remarquer, ce succès est le fruit d’une histoire complexe, donc dificilement duplicable.
    Ce que vous passez sous silence, ce sont les libertés qu’Apple a quelques fois pris avec la propriété intellectuelle des autres, pour aller plus vite notamment lors du développement de l’Iphone, quitte à corriger le tir a postériori. Avez-vous aussi étudié cet aspect de l’histoire.

  2. Que voulez vous dire par là ? Y a t’il eu une violation de brevets sur l’iPhone ? A quoi pensez-vous exactement ? Je suis preneur de toutes informations me permettant de compéter cette étude de cas

  3. J’avais relevé une ou deux actions en justice au cours de mes lecture en ligne (Cisco, nottament je crois), et entendu parlé d’une action négociée avec Jazz Mutant, inventeur français du multitouch. Il y aussi deux taiwanais , Elan et HTC, qui se sont manifestés sur les technologies d’écran tactile. voir l’article de ZeNet.fr
    http://www.zdnet.fr/actualites/informatique/0,39040745,39391538,00.htm
    Mais ceux là ne sont pas jugé.
    Cela fait beaucoup de « papa » pour une même techno, je vous l’accorde, et Apple est peut-être de bonne fois. je ne suis pas juge. mais l’affaire vaut la peine d’être suivie.
    Récemment c’est Cartier qui attaque pour protéger sa marque utilisée sur l’Applestore.
    Le succès fait toujours des envieux. La position de leader oblige aussi surement a encore plus de précautions.

  4. Bonjour,

    je suis actuellement étudiant en Master de Finance et dans le cadre e mon cursus je réalise un mémoire sur la société Apple, principalement sur sa stratégie d’entreprise et l’impact de son leadership.
    J’aurais souhaité si possible entrer en contact avec des personnes ayant étudié le cas d’Apple pouvant me donner leurs avis ou d’autres informations, voire des axes de réflexions auxquels je n’ai pas pensé.

    Je vous remercie par avance, n’hésitez pas à me contacter.

    Cordialement.

  5. En fait, j’ai utilisé la doc que j’ai pu trouvé sur internet, et lu le livre sur les début d’apple. Peut être qu’il des infos intéressante dans le livre :
    The Innovation Secrets of Steve Jobs: Insanely Different Principles for Breakthrough Success de Carmine Gallo.

  6. Ton billet, Guy, conforte une idée qui me trottait dans les neurones depuis l’avant-même 2009, selon laquelle la véritable innovation d’Apple n’était pour le coup, l’iPhone et avant lui l’iPad, pas technique mais éco-gestionnaire (l’on dit business). Tu fournis des arguments dans ce sens, que la suite des événements depuis alors semble avoir confortés.

    Pour simplifier, la véritable originalité est l’iTunes puis l’Apple Store.

  7. (Impossible d’éditer les commentaires, je le sais)

    Il fallait lire « l’iPhone et avant lui l’iPod« , bien sûr.

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